je ne vois pas d'échappatoire, il n'y a pas d'échappatoire, je ne vois pas où ni dans quoi on pourrait s'échapper, je ne vois pas où ni dans quoi on pourrait repousser le moment de la fin, je ne vois pas où ni dans quoi on pourrait croire qu'on vit encore et que le sens qu'on mettait dans les choses y est encore, collé aux choses comme une sève ou comme un post-it de merde, sans personne pour les lire bientôt, je ne crois pas que ça puisse durer encore longtemps tout ça, tout ça quoi, tout ça quoi, je ne crois pas que le temps puisse durer encore longtemps, je ne crois pas qu'il faille toujours y croire au temps qui continue, c'est pas une bonne chose pour le temps de continuer, c'est pas une bonne chose de croire que ça va encore durer un moment, qu'on peut s'étaler en merde dans le temps parce qu'il y en aura encore après où faire des choses qui comptent, c'est quoi les choses qui comptent, c'est quoi les choses qui en valent la peine quand le temps se finit, quand l'urgence sera passée de se chier partout et sous toutes les formes, quand le temps se finit dans un coin parce qu'il est plus question de s'étaler en merde dedans, plus question, ça se finit, c'est trop tard, c'est quoi les choses qui valent, elle est où la valeur refuge à l'instant de crever en vieille outre pleine de rien, elle est où la valeur où balancer les dernières forces qu'il me reste parce que j'ai trop mangé, j'en ai trop mangé du temps, j'en ai trop mangé de la viande du monde, j'arrive pas à digérer la viande du temps dont je me suis baffré, j'en ai baffré de la viande de temps et de la viande de monde sortie des machines qui la mettent en boîte, en hachis, en sauce, en mots, en mots de merde qui m'entrent par tous les trous, en images de merde qui m'entrent par tous les trous, en désirs de merde qui m'entrent par tous les trous, j'en suis saturé, on est saturé, on est plein à craquer de viandes plus ou moins délicates qui ont bouffé le temps qu'on avait, qui se sont farci le temps qu'on avait, on s'en est farci du temps à rien faire, à croire qu'on avait encore le temps après la nuit, après le sommeil, où on commencerait à se poser des questions, que c'était pas pour maintenant, que maintenant il fallait aller de l'avant, ne pas se poser de question, avaler la vie en viande, jouir en merde sans entrave, qu'est-ce qu'on s'en est farci du temps, pour faire quoi, pour faire quoi, va pas croire que ça va durer encore, qu'il y en a encore derrière la fin, qu'il y en a encore après le cancer, qu'il y en a encore après la cirrhose, qu'il y en a encore après la gueule dans le pare-brise, qu'il suffit d'y croire, d'être solide, d'y croire en la vie, d'y croire au travail, pour continuer à s'étaler en merde dans le temps, et continuer à bouffer la viande de monde qu'est moulinée partout sous forme de chaise, sous forme de costume, sous forme de voiture, sous forme d'image de cuisse fixe, sous forme d'image de cuisse animée, sous forme de culture de merde, sous forme de branlettes sociales nommées spectacles théâtre performance, des animaux ! des animaux ! des animaux, des animaux, des animaux qui font la pose, des putains d'animaux qui font la pose, qui se regardent être, qui se regardent bouffer de la viande de tout, qui se congratulent, des animaux qui se battent pour qu'on les regarde administrer la viande, porter la viande, posséder la viande, se frotter en viande, rentrer dans la viande, sortir de la viande, des animaux qui font de la viande de tout, qui transforment tout ce qui existe en viande, leurs propres déjections aussi, des animaux qui hachent et recomposent en usine tout ce qui bouge, tout ce qui ne bouge pas, des animaux qui transforment en viande morte tout ce qui bouge, tout ce qui ne bouge pas, des animaux qui forcent la viande morte à bouger encore, à cracher ce qu'elle peut encore cracher, des animaux qui recyclent la viande, des animaux qui ont forgé à travers un pet de temps un prodigieux cycle de Viande-Merde, la chose en viande puis la viande en merde, la viande en merde puis la merde en viande, la viande en merde puis la merde en viande, la viande en merde puis la merde en viande, et ça presse la viande jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à en tirer, ni sang ni rien du tout, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des bouts de corps épuisés, on en est là, tu te crois en vie mais tu en es là aussi, j'en suis là aussi, j'en suis là, mon corps en bouts de viande épuisés, essorés, le monde en merde inutilisable que j'ai encore à avaler chaque matin, croquer la merde du monde à pleines dents, on est à l'ère des résidus, on vit dans des résidus d'espace mort, où on se sent tranquille, où on se sent en sécurité, où on peut oublier la pourriture dans les corps, pense à la vie, arrête ces idées noires, ces idées malades, arrête de penser et vis, qui me dis ça, qui me crache ça à la gueule, je suis devant la vie, je suis devant la vie, je regarde la vie vivre, je regarde ces putains d'animaux vivre comme si rien ne les menaçait, comme si la mort était une vieille blague qu'on se raconte devant la machine à café, ANIMAUX ! ANIMAUX ! animaux, animaux, j'aime les voir affolés, j'aime les voir devant la mort qui les fait sortir du temps, qui les rend à la viande, je ne veux plus aller de l'avant, je veux sortir du village, je veux rester dans ma viande éclatée et penser à ça, je veux passer les derniers moments du temps, les derniers résidus du temps, à voir, à voir, peut-être que ça n'en vaut pas plus la peine qu'autre chose, mais je veux me trouer les yeux pour enfin pouvoir regarder ça, pour enfin voir l'horreur du monde fait viande, pour enfin voir l'horreur du monde fait résidu de ce qui a été un jour, pour enfin voir les viandes s'étaler dans l'absence d'énigme, pour enfin voir le temps s'arrêter, une bonne fois pour toutes

Aucun commentaire: